L'argenture de l'Anguille : métamorphose, anticipation, adaptation

Eel silvering : metamorphosis, anticipation, adaptation

Laboratoire de Physiologie Générale et Comparée, Muséum National d'Histoire Naturelle, URA 90 CNRS «Evolution des Régulations Endocriniennes», 7 rue Cuvier, 75231 Paris Cedex 05, France.

Résumé

L'argenture est une métamorphose qui, au cours du cycle vital des anguilles, précède la migration marine de reproduction. Une meilleure connaissance de ce phénomène serait utile non seulement d'un point de vue fondamental en biologie du développement mais aussi d'un point de vue appliqué pour la gestion des populations de ce poisson. On passe d'abord en revue un certain nombre de caractères très variés, qui ont été invoqués pour différencier les stades jaune et argenté, en s'attachant à la signification, pour le cycle vital, des nouveautés exprimées durant l'argenture ; la plupart de celles-ci apparaissent être des caractères adaptatifs qui anticipent sur les conditions de la migration marine. On s'intéresse ensuite à la dynamique et au déterminisme neuroendocrinien de l'argenture. On suggère l'existence de plusieurs étapes qui se succéderaient du printemps à la fin de l'automne, de la préargenture à la descente des rivières (l'avalaison). En se référant aux rares données neuroendocrinologiques disponibles ainsi qu'à d'autres métamorphoses comme celles des amphibiens et la smoltification du saumon, on est conduit à proposer qu'un certain nombre d'hormones interviennent dans le déterminisme des étapes successives de l'argenture. Un des événements précoces pourrait être la stimulation de neurones hypothalamiques, avec sécrétion de neuropeptides hypophysiotropes. Une question particulièrement intéressante posée par l'argenture de l'anguille, et sur laquelle on insiste, est celle du couplage des déclenchements de la métamorphose et de la puberté. Un scénario évolutif est proposé pour l'apparition du cycle vital si complexe des anguilles à partir de la vie entièrement marine qui devait être celle de leurs ancêtres comme elle l'est encore pour la plupart de leurs proches parents, les autres élopomorphes. Ce scénario implique en particulier l'acquisition de l'euryhalinité, puis «l'assimilation génétique" des processus d'abord mis en oeuvre lors de l'accommodation à l'eau de mer ; c'est dire que ces processus ont dû, au cours de l'évolution, être placés sous le contrôle de l'horloge du développement qui déclenche l'argenture ; des hypothèses neuroendocriniennes sont suggérées pour expliquer cette assimilation génétique. En conclusion, on s'interroge sur la définition morphologique et biochimique des étapes successives de l'argenture et sur la reconnaissance de ces étapes par des caractères, aisément détectables, plus précis et fiables que la coloration. Des progrès dans ces domaines permettraient de connaître par exemple, dès avant l'avalaison, la proportion du stock qui quittera les eaux douces dans l'année.

Abstract

Eel “silvering” is a metamorphosis which, during the life cycle of these fish, precedes the marine reproductive migration. A better knowledge of this phenomenon would be useful not only from a fundamental point of view in developmental biology but also from an applied point of view for the management of eel populations. First, we review a number of characters which distinguish between yellow and silver stages with a special attention to the meaning, for the life cycle, of the novelties expressed during silvering ; most of them appear to be adaptative characters which anticipate the conditions of the marine migration. Then, we take an interest in the dynamics and the neuroendocrine determination of silvering for which the existence of several successive steps is suggested, from presilvering to the catadromous freshwater journey («avalaison» in French). The neuroendocrine data on silvering are rare so that one is led to use informations from other events such as amphibian metamorphoses and salmon smoltification. It appears likely that several hormones are involved in the determinism of silvering successive steps. One of the precocious events could be the stimulation of hypothalamic neurons with secretion of hypophysiotropic neuropeptides. An especially interesting point raised by eel silvering, the coupling between silvering and puberty triggerings, is discussed. An evolutionary scenario is proposed for the appearance of the present complex eel life cycle from the purely marine life which was probably that of eel ancestors as it is still for most of their close relatives, the other elopomorphs. This scenario in particular involves the acquisition of euryhalinity and then the «genetic assimilation» of processus previously triggered during accomodation to sea water. That is to say that these processes should have been placed under the control of the developmental clock which initiates silvering; neuroendocrine hypotheses are suggested to explain this genetic assimilation. In conclusion, one wonders about the morphological and biochemical definition of the successive steps of silvering and on the recognition of these steps by easily detectable characters, more precise and reliable than colouring. Progresses in these scopes would allow for instance to know before «avalaison» the proportion of a given stock which is likely to leave fresh waters in the year.